L’enseignement de la traduction en université : défis, difficultés et réussites
De mon expérience d’enseignement de la traduction à des professionnels aguerris (association de traducteurs ou employés de ma société) et à des étudiants de langues étrangères appliquées, il est des conclusions intéressantes qui nous permettent de mieux appréhender le métier de traducteur en France et dans le reste du monde.
- Distinguer la traduction professionnelle de la traduction universitaire
- La traduction universitaire, un outil d’apprentissage des langues étrangères
- La menace des outils de traduction automatique : la fausse perception de plausibilité
- Enseigner la patience, la précision terminologique et la recherche linguistique
Distinguer la traduction professionnelle de la traduction universitaire
Avant toute chose, il convient d’opérer une distinction entre la traduction professionnelle, elle-même composée de différents métiers (traducteur littéraire, traducteur judiciaire, traducteur spécialisé, traducteur audiovisuel, etc.) et la traduction universitaire.
La traduction professionnelle correspond à l’exercice de la traduction de façon quotidienne en tant que métier et a, de ce fait, des exigences très particulières. Aussi, pour le traducteur professionnel, deux éléments sont fondamentaux pour savoir la manière dont il devra traiter un texte à traduire :
- Pour qui traduit-il ?
- Pour quelle finalité ?
En revanche, en ce qui concerne la traduction universitaire, les questions posées ne sont pas les mêmes. L’intérêt de la traduction universitaire ne réside pas dans le destinataire de la traduction, mais exclusivement dans sa finalité.
La traduction universitaire, un outil d’apprentissage des langues étrangères
Car la traduction universitaire est avant tout un outil d’apprentissage des langues étrangères. Aussi, la finalité est complètement autre que celle de la traduction professionnelle, qui cherche à véhiculer un message pour un destinataire particulier.
Les étudiants, en réalisant leur traduction, doivent rendre compte non seulement de leur compréhension du texte mais aussi de leur maîtrise des langues source et cible. Aussi, il devra éviter autant que possible les omissions, qui peuvent parfois s’avérer nécessaires en traduction professionnelle, et veiller à bien retranscrire l’ensemble du texte à traduire.
Il devra aussi s’employer à traduire comme cela lui a été enseigné, bien veiller au respect de la concordance des temps, des expressions figées et s’autoriser le moins de libertés possibles au risque de se voir opposer sa non-compréhension.
Il devra également se montrer stratégique lors de son examen. Le recours aux dictionnaires étant proscrit, il devra limiter sa perte de points en évitant tout barbarisme, solécisme, hispanisme, omission, non-sens et limiter autant que possible les contresens et faux-sens. S’il y a un terme dont il ne connaît pas la traduction exacte mais a l’intuition de la famille, il pourra stratégiquement décider de le traduire par un terme voisin et tomber non pas dans le contresens, mais dans le faux-sens, erreur bien moindre.
La menace des outils de traduction automatique : la fausse perception de plausibilité
L’un des éléments qui m’a le plus impacté après avoir dispensé mon premier cours de traduction universitaire a été le recours indiscriminé des étudiants aux outils de traduction automatique.
Qu’importent les raisons pour lesquelles ils s’y adonnent, les résultats sont catastrophiques pour leur apprentissage : au lieu d’acquérir une maîtrise plus solide de la langue, ils passent leurs textes à la moulinette de Google Translator ou encore DeepL, et passent outre tout processus cognitif d’acquisition linguistique.
Pire encore, ces outils offrent une fausse perception de plausibilité qui affaiblit plus encore leurs résultats aux examens de traduction, où ils sont justement interdits. Malgré mes avertissements répétés, les étudiants de langues étrangères appliquées anglais-espagnol y recourraient sans cesse, produisant des travaux de piètre qualité.
Cette sensation de plausibilité produit un effet dévastateur dans le sens où, d’une part, les étudiants fournissent moins d’efforts cognitifs dans leur propre apprentissage de la langue et, d’autre part, associent erronément les tournures, terminologies et interprétations des outils de traduction automatiques du texte source à leur propre langue, débouchant sur une perception faussée de la langue et des locuteurs aux compétences linguistiques défectueuses.
Enseigner la patience, la précision terminologique et la recherche linguistique
Dans ce contexte, je m’emploie à enseigner la patience, la passion pour la langue dans toute sa richesse et dans ses variétés d’expression, qu’il s’agisse des variantes latino-américaines de l’espagnol ou des différents anglais parlés à travers le monde.
Il est aussi convenable d’enseigner la précision terminologique pour une expression non seulement plus exacte et plus précise, mais également pour une plus grande richesse de vocabulaire et d’expression qui ne pourra leur être que profitable. Cette précision terminologique résulte de la curiosité et de la recherche linguistique d’un domaine particulier et, nécessairement, de la passion pour ce que l’on fait.